L’entreprise, société humaine vivante.

« L’entreprise, comme société humaine vivante, produite et agie par des hommes doués d’intelligence et en interaction, déborde nécessairement l’entreprise comme institution. »

Penser le changement en termes de mouvement. L’idée fait son chemin mais elle n’organise pas encore l’action des acteurs dans l’entreprise. Ceux-ci restent sous l’emprise d’une conception linéaire d’un changement qui serait passage d’un ordre à un autre, d’une situation A à une situation B, même si à la réflexion ils trouvent cela caricaturale et contraire à l’expérience.
« La notion de mouvement valorise la temporalité comme durée là où le changement relève plutôt d’une problématique de gestion d’agenda, d’aspect et de variation d’aspect entre deux états ; nous proposons de réintroduire la durée comme relation au monde, comme expérience perceptive et émotionnelle vécue par des personnes agissant dans un contexte social et historique, pour rendre compte du mouvement en train de se faire. L’ordre du regard est renversé. Le présent est un futur en cours de fabrication. 

La rupture paradigmatique est analogue à celle qui distingue la danse contemporaine de la danse classique. Dans la danse classique, les déplacements sont des moyens de passer d’une posture à une autre, dans la danse contemporaine, le chorégraphe invente un vocabulaire et des grammaires du mouvement. Le codage est en cours d’invention ; majoritairement, le ballet contemporain fait l’objet d’une mémorisation et d’une transmission directe, comme l’expérience managériale. Chaque chorégraphe montre, guide, note à sa manière. Quelques chorégraphes tentent une formalisation, une notation de la danse comme mouvement pur, souffle et placement du corps dans ce souffle. Les managers collectent des récits d’expériences, des bonnes pratiques, le mouvement échappe comme un secret culinaire, un tour de main dans lequel tout se jouerait. Nous nous intéressons au vocabulaire et à la grammaire du mouvement des entreprises. Mémoriser, tracer, coder pour repérer ce qui fait signe, vocabulaire, syntaxe, grammaire du mouvement. Non pas rechercher à modéliser un absolu du mouvement, mais regarder le déroulement d’un mouvement singulier – son enclenchement, son maintien et ses ruptures, ses amplifications et ses contractions – et tenter d’en rendre compte pour en tirer des enseignements à mettre à l’épreuve d’une nouvelle configuration, d’un autre groupe humain, d’une autre entreprise.

Parmi d’autres facteurs, les technologies ont mis en question la forme entreprise : les interactions et le travail débordent les frontières de cette forme, nous questionnant à nouveau sur ce qui fait lien et solidarité entre les personnes, sur les places et l’ordre de ces places. Les technologies transforment notre expérience sensible. Les liens virtuels exercent leur puissance, ils intensifient la mise en relations des intelligences ; les outils de blog ou de micro-blog incitent à pointer pour d’autres ce dont nous sommes témoins. Des échanges sur nos lectures de notre environnement structurent notre action locale et s’insèrent dans l’intime de notre pensée.

Les oppositions entre l’interne et l’externe utilisées parfois pour l’entreprise et sa communication sont insatisfaisantes quand même le travail accompli solitairement relève d’une articulation, d’une mise en liaison, d’un réglage, d’une coordination des émotions, des pensées, des cognitions et peut-être même des mouvements des corps. L’entreprise, comme société humaine vivante, produite et agie par des hommes doués d’intelligence et en interaction, déborde nécessairement l’entreprise comme institution. »

Extrait de « Transformations dans les marchés de l’énergie » Dubois,C. Ed. Hermes Lavoisier 2010.

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